Le vélo en triathlon et la spécificité du contre la montre

Le guidon dit de triathlète popularisé par Greg Lemond sur le "contre la montre" final du Tour de France 1988, avec les huit petites secondes qui lui ont permis d'arracher la victoire à Laurent Fignon, a focalisé l'attention du grand public sur un sport encore balbutiant à l'époque, mais qui "cassait les codes" et innovait sur le plan du matériel.

Dans la décade suivante, comme le drafting était toujours interdit (même si son contrôle posait de plus en plus de problème sur les distances courtes), les triathlètes ont multiplié les recherches pour aller le plus vite possible sans bénéficier d'abri-aspiration comme en peloton. N'étant pas dépendants du carcan réglementaire de l'Union Cycliste Internationale, ils ont pu expérimenter tous azimuts : cadres aux formes et tubes variés, géométries modifiant l'angle de pédalage, tige de selle inversée, roues paraculaires, lenticulaires ou à bâtons de diamètre 650 ou combinaison 650 à l'avant et 700 à l'arrière, sans compter toutes formes de guidons et de prolongateurs... Avec les avancées en soufflerie de Graham Obree et Chris Boardman pour le record de l'heure et la généralisation du carbone comme matériau pour le cadre et les jantes, les années 90 ont ainsi jeté les bases de nouvelles théories aérodynamiques et dégagé des principes qui gouvernent toujours la partie vélo en triathlon, même si l'autorisation du drafting et la soumission aux règles de l'UCI (sport olympique oblige) en a limité le champ.

Sur les longues distances comme sur la plupart des courses régionales ou même en championnat élite si on rate un paquet à la sortie de l'eau, le triathlète doit pédaler seul sur la route en "contre la montre". Pour aller le plus vite possible, pas de secret, chacun doit, quel que soit son niveau, améliorer le rapport vitesse/puissance, ce qui passe par la réduction de la surface frontale d'exposition au vent et donc l'utilisation des recettes aérodynamiques mises au point pour diminuer le coefficient de pénétration dans l'air (Cx), rechercher le meilleur écoulement de l'air et limiter la résistance à l'avancement.

Ces recettes touchent quatre domaines : meilleure adhérence au sol, réduction des frottements mécaniques, moindre résistance de l'air et développement constant de la puissance maximale possible.

Pour l'adhérence au sol, cela passe d'abord par le choix du meilleur type de pneumatique en fonction du revêtement et de la météo. Si vous courez sur un enrobé lisse par forte chaleur ou sur une route de montagne gravillonnée par temps de pluie, la résistance au roulement ne sera pas la même et vous devrez vous poser la question du profil du pneu ou boyau le plus adapté et de sa section (20, 23 voire 25 pour un meilleur confort). Le point clé reste toutefois la pression de gonflage qui doit permettre le meilleur rendement : la règle est de gonfler à 10% de son poids soit 7 à 8 bars maxi pour 70 à 80 kg. Inutile de sur-gonfler : au-delà de 8 bars le pneu ne se déformera plus et rebondira plutôt que de coller à la route, vous ne gagnerez rien d'autre qu'un dos et des poignets douloureux à l'arrivée... Par temps de pluie, il vaut mieux abaisser légèrement la pression pour gagner en adhérence (et parfois éviter la chute).

Pour la réduction des frottements mécaniques, vos roues doivent être équipées de roulements de la meilleure qualité possible mais surtout vous devez veiller à ce que la chaîne soit bien lubrifiée et que le choix des dentures de la cassette et du plateau permettent d'optimiser au mieux la ligne de chaîne tout au long du parcours même si le profil varie. Bien entendu, les manivelles ne doivent induire aucun frottement avec le boîtier de pédalier, le réglage de la fourchette de dérailleur avant doit être nickel et les galets du dérailleur arrière parfaitement nettoyés... Enfin la qualité du pédalage n'est pas négligeable : l'effort doit toujours être fourni perpendiculairement aux manivelles pour ne pas entraîner de déperdition énergétique et les cales de chaussures parfaitement alignées sur les pédales automatiques.

Pour la résistance de l'air, il faut savoir que celle-ci augmente au carré de la vitesse, selon quatre paramètres : résistance frontale, résistance de traînée, résistance de glissement et résistance du vent. Réduire la résistance de l'air est donc l'élément déterminant à prendre en compte pour gagner du temps. Cela passe par l'étude de sa position sur le vélo pour bénéficier du meilleur aérodynamisme possible. Comment est-ce réalisable ? Il faut adopter un ensemble matériel qui favorise la meilleure position possible sans que les gains apportés par cette dernière n'altèrent vos facultés biomécaniques de pédalage et votre potentiel physiologique (capacité de ventilation pulmonaire maintenue).

Ce compromis aérodynamique est propre à chaque individualité et la meilleure solution passe par une étude posturale préalable chez un vélociste professionnel (qui devrait être systématique lors de l'achat d'un nouveau vélo ou cadre). En fonction de vos cotes, le professionnel va amener votre dos le plus parallèle possible au sol, tout en conservant la puissance maximale sans augmentation de coût énergétique. C'est là qu'on ressort les recettes empiriquement mises au point dans les années 90 : abaisser et allonger la potence tout en avançant et remontant le bec de selle pour garder la distance selle-cintre avec un dos à 90° par rapport à la jambe et parallèle au sol. Ensuite guidon et prolongateurs doivent permettre de positionner les avant-bras à 90° par rapport aux bras avec les repose-coudes le plus rapproché possible entre eux sans compromettre la respiration. La longueur des manivelles doit parfaire le positionnement et l'équilibre.

Vous allez vous confronter à un dilemme : faut-il modifier mon vélo de route aux normes UCI dont la géométrie de tube de selle est de l'ordre de 72 à 75° et inverser la tige de selle pour obtenir la position avancée optimale, ou passer à un vélo de CLM spécifique avec une géométrie conçue pour une selle avancée et un cintre "basebar" (ou corne de vache) droit ? Abstraction faite de l'aspect financier, il faut savoir qu'un vélo spécifique de CLM nécessite une adaptation (visibilité atténuée devant, muscles fessiers plus sollicités, moindre confort sur longues distances, pilotage plus pointu sur terrain pentu et/ou sinueux). Sauf à pouvoir tenir une moyenne supérieure à 35 km/h ou viser une qualification à Hawaii, le vélo de CLM est un luxe! Il vaut mieux adapter un vélo hybride capable de franchir les bosses qui ne manquent pas dans la région et d'emmagasiner les kilomètres d'entrainement en terrain varié. Par contre, investir dans des roues carbone à faible rayonnage et jantes hautes profilées (entre 4,4 et 8,8 cm selon la bourse et les watts développés) et les monter pour les courses sur terrain plat ou peu vallonné peut s'avérer un choix judicieux quand le temps n'est pas pluvieux : c'est un facteur important pour la pénétration optimisée dans l'air (moins d'engouffrement d'air et d'effet tourbillon) et donc la diminution de la traînée aérodynamique, sans compter l'inertie qui permet de maintenir la vitesse en économisant un peu d'énergie à puissance constante.

Reste un dernier détail pour les puristes : le choix du casque pour optimiser le profil. Certains modèles disposent d'une queue permettant un ensemble tête casque qui se confond avec le plan horizontal du dos et une ligne casque-dos la plus horizontale et la plus régulière possible. Si l'aérodynamisme et la vitesse horaire y gagnent, le confort et la ventilation font grise mine...

Pour développer une puissance maximale constante, vous devez engranger les heures d'entraînement. Le maintien d'une position aérodynamique est contraignant et suppose une bonne dose de préparation pour éviter l'apparition de douleurs musculaires et garder la concentration nécessaire à l'exercice. Il faut être capable de maintenir un pédalage sans gestes parasites (qui augmentent la résistance et font tomber la vitesse), tout en conservant une cadence élevée et une puissance aérobie constante en enroulant du braquet. Cela ne s'acquiert pas du jour au lendemain... C'est là aussi que le cardio-fréquencemètre et le capteur de puissance peuvent être des aides précieuses pour mieux étalonner et maîtriser l'intensité de l'effort par rapport au seuil anaérobie. En deça du seuil, vous perdez du temps, au delà vous secrétez plus de lactates qui s'accumulent et vous "perdrez vos jambes" en course à pied.

Améliorer sa technique et sa position sur le vélo permet de gagner du temps sans effort supplémentaire, quel que soit son niveau. Le bénéfice chronométrique est souvent significatif et s'obtient plus rapidement qu'en ne travaillant que sur la seule condition physique.

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